
D’entrée de jeu, dans ce livre du sociologue René GIRARD il s’agit de répondre aux nombreuses objections faites contre la théorie mimétique et de poursuivre l’exploration d’autres thèmes qui lui sont rattachés. Rappelons que « La substance même des rapports humains, quels qu’ils soient, est faite de mimétisme » et que ce mimétisme se définit comme « le désir trop partagé d’un objet non-partageable » (sic). Il ne saurait y avoir de désir personnel. On ne désire que ce que désire l’Autre. D’où le mimétisme et la réciprocité sans fin de la violence dont l’approche biologique, philosophique ou politique demeure insuffisante. La violence relève donc essentiellement de l’imitation, une des lois sociales de Gabriel TARDE.
Cela dit, il est temps de réfuter l’accusation d’ethnocentrisme faite à l’endroit de cette perspective anthropologique. Sans vouloir nier l’existence de l’ethnocentrisme de la culture occidentale – et de toutes les autres – , il faut admettre que les Occidentaux ont toujours été leur propre ennemi, pris par cette passion de l’autocritique qui, curieusement, n’existe que dans la civilisation judéo-chrétienne.
Théorie mimétique et théologie
Par ailleurs, une rectification s’impose quant à la thèse « antisacrificielle » des premiers écrits et du livre publié en 1978 intitulé Des choses cachées depuis la fondation du monde. Sans rien changer à l’anthropologie mimétique, il faut reconnaître le bien-fondé du recours au terme de « sacrifice » dans le christianisme afin de rendre la théorie mimétique conforme à la théologie traditionnelle, ce qu’admet Raymond Schwager, contrairement aux autres théologiens qui éprouvent de fortes réserves envers cette théorie : voir Histoire de la théologie, de Jean-Yves Lacoste
Ce présent livre de René Girard, celui par qui le scandale arrive , n’a rien du baroud d’honneur, bien au contraire. Il est important dans l’exposition d’une recherche poursuivie depuis 40 ans. Comportant une dominante anthropologique, il est dirigé contre le relativisme, plus particulièrement celui dont fait preuve un Claude Lévi Strauss qui domine la seconde moitié du XXe siècle. On reproche à l’anthropologie structurale de ne reposer que sur des « différences », sans tenir compte de l’identité. Pour être vraiment scientifique, les sciences de l’homme ne doivent pas se limiter à la seule étude de l’ordre social, mais doivent tenir compte du désordre et des crises qui se manifestent, ce que la théorie mimétique s’efforce de faire. Le constat que plus de choses séparent que rapprochent la théorie mimétique du structuralisme anthropologique n’empêche pas d’affirmer la « beauté » de l’oeuvre de Lévi-Strauss et sa qualité de mentor en anthropologie, même si celui-ci manifeste, sans jamais nommer ni l’auteur ni la théorie mimétique, une attitude très négative envers celle-ci et un peu de commisération pour son auteur.
L’expression « bouc émissaire », entre autres, provoque chez Lévi-Strauss des réactions épidermiques reprises par le milieu ethnologique français et qui sont causées par l’incompréhension de la théorie telle qu’elle est réellement.
Celui par qui le scandale arrive
Le livre est présenté comme une introduction accessible à l’une des contributions majeures à la philosophie et à l’anthropologie contemporaines. Girard reprend les grandes lignes de sa pensée sous la forme d’un dialogue, ce qui rend le livre particulièrement accessible. Certains critiques trouvent que le livre se répète par rapport aux œuvres précédentes de Girard, mais reconnaissent que sa pensée mérite d’être continuellement expliquée et développée. D’autres apprécient la clarté et l’accessibilité du dialogue avec Maria Stella Barberi.
En résumé, « Celui par qui le scandale arrive » est un livre important pour comprendre la théorie de la violence mimétique de René Girard et son application aux problèmes contemporains. Il est accessible et offre une bonne introduction à la pensée de Girard, bien que certains puissent trouver qu’il se répète par rapport à ses œuvres antérieures.
Celui par qui le scandale arrive, René Girard et Maria Stella Barberi , Hachette Littératures, 2006, 193 pages